Wednesday, January 16, 2013

Poésies incomplètes, Régis Belloeil, éditions Le Citron Noir


Il m'arrive trop peu souvent d'écrire des notes de lecture sur les livres que je lis. J'avais arrêté cette activité lorsque je m'étais pris un mur de face il y a plusieurs années, juste avant de mettre mauvaise graine en sommeil et qu'elle ne renaisse sous le titre mgversion2>datura.

Je le fais en réalité volontiers lorsqu'il s'agit de livres dont les auteurs sont des personnes que je connais au moins un peu soit parce que je les fréquente depuis plusieurs années dans une correspondance suivie, soit parce que j'ai eu l'opportunité de les publier, voire les deux.

Il m'est arrivé de publier Régis Belloeil dans les pages de mgversion2>datura. J'aime cette écriture simple, sans fioriture mais qui n'a pas peur des poils qui dépassent. Régis amènent son lecteur à des hauteurs éthérées, des beautés insoupçonnées, "Elisa" est un poème émouvant au plus haut point, mais il ne s'agit pas que d'émotion et de sentiments, mais bel et bien de pensées, de réflexions -- pas comme des brèves de comptoir mais du verbe réfléchir -- avant de le faire plonger de nouveau, le lecteur, dans le médiocre du quotidien, le morne, le triste, le sale, le désespoir, lui qui n'est "que lucide, incapable d'oublier/Crasse, égouts, béton/Emprisonnés/Sous la lumière des néons".

Ce chaud/froid, ces montagnes russes peuvent mettre mal à l'aise, surtout si la lecture a lieu un dimanche soir, période de la semaine la plus propice au spleen, mais aussi celle qui saura mieux nous faire pénétrer les abîmes d'un poète qui ne donne plus l'impression de croire en grand chose "J'ai cru pouvoir tout supporter/jusqu'au jour où je me suis réveillé/Habité par la haine."

Les images fortes qu'utilise Régis, je les admire: "Ma vie est cette petite fille/Aux yeux crevés/ Béant sur le monde." Je les envie même, elles sont si cinglantes qu'on s'y blesse parfois les yeux, le lecteur doit écarter le livre de son regard, le poser, attendre que la pensée, la vision s'échappe; le mal apaisé, la lecture peut reprendre.

Il y a une ou des femmes qui traversent ce recueil, mais sans jamais s'y arrêter, ou pour en partir, toujours.

La mort n'est jamais loin non plus: "Ma mort/ sera d'une beauté/ à couper au couteau" écrit le poète dans le poème "Ma mort". Il écrit aussi "Kill" - envie de tuer? Simple constat de la mort dans toute sa beauté froide et sanglante?  - "La mort électrique", et cette mort que le poète souhaiterait "Un dimanche/ Les magasins sont fermés/On s'fait chier/ Y'a que Drucker à la télé".

Il est aussi question de fantômes, d'ivresse et de doute.

Pourtant, il y a aussi de la vie dans ce recueil. La vie des autres, la vie des jeunes gens, de la jeunesse insolente desquels le poète est peut-être envieux, ou nostalgique. Ne dit-il pas: "Tu aurais souhaité/ Conserver en toi/ L'éclat de la jeunesse". Oui, nous vieillissons tous, et ça fait chier, mais ainsi va la vie. Etre fataliste ou hurler cette frustration d'entrer en décomposition encore debout, de savoir que l'inéluctable approche un peu plus de jour en jour. Régis a fait son choix.

La poésie de Régis est un couteau qui tourne dans une plaie béante - il n'y a pas de mal à se faire de bien, il n'y a pas de mal à se faire de mal non plus. Le masochisme est parfois nécessaire pour ne pas oublier que nous sommes des êtres vivants, doués de conscience sinon de raison et cette souffrance nous rappelle à notre condition humaine fragile et parfois si désespérante.

Régis Belloeil, Poésies incomplètes, éditions Le citron noir. Illustrations de Mathilde Lartige.

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